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Peut-on encore réfléchir en médecine? Professeur Gérard REACH
mercredi 15 novembre 2017 à 20:00 - 21:30
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La médecine a fait, il faut s’en réjouir, plus de progrès dans les cinquante dernières années que dans les cinquante siècles qui les ont précédées, tant au niveau du diagnostic que de la thérapeutique et de la compréhension des maladies. Celle-ci est descendue de la physiologie au niveau de la biologie moléculaire et de la génétique, permettant à la médecine de s’exprimer sous la forme de 3 premiers “P”: Préventive, Prédictive, et bientôt Personnalisée. Elle prouve son succès grâce aux données de l’evidence-based medicine (EBM) qui a conduit à l’élaboration de recommandations de bonne pratique. Celles-ci sont enseignées dans le cursus des études médicales, et c’est bien.
Mais ceux à qui on les enseigne peuvent avoir l’impression que l’on a ainsi transformé la médecine à laquelle ils aspirent en une science des maladies, ce qui pourrait expliquer la baisse progressive de leur faculté d’empathie au cours de leurs cursus. Une médecine qui se résumerait à L’EBM présente un danger: celui de faire croire que les recommandations représentent une facilité et que les décisions médicales peuvent être prises simplement en suivant des guidelines, sans réfléchir, conduisant ainsi à cet arrêt de penser qu’avait dénoncé Hannah Arendt sur le terrain politique puis philosophique.
Une médecine sans réflexion présente de fait trois risques: d’abord faire oublier la complexité de toute décision thérapeutique, qui concerne non pas un “malade” mais une personne, appelant une médecine d’un quatrième “P”, la médecine Participative, que nous préférons appeler médecine de la Personne; ensuite, l’absence d’arrêt sur image d’un médecin qui irait de cas en cas, du passé au futur sans jamais “se poser” pour réfléchir, comme le réanimateur-ambulancier joué par Nicolas Cage dans A tombeau ouvert de Scorsese, risquerait de le conduire au burn-out; enfin, une médecine sans réflexion conduit à une simplification oubliant que la pensée des patients et des médecins est une pensée complexe: ceci explique sans doute en partie la survenue de deux obstacles majeurs à l’efficacité des soins: la non-observance des patients et l’inertie clinique des médecins.
Oui, il faut continuer à réfléchir en médecine : il faut enseigner et pratiquer une médecine de la personne.
Le Professeur Gérard Reach est Référent Qualité Hospitalité au sein du Groupe Hospitalier Hôpitaux Universitaires Paris-Seine Saint-Denis, Professeur d’Endocrinologie-Maladies Métaboliques, Université Paris 13, Ancien chef du Service d’Endocrinologie-Diabétologie-Maladies Métaboliques de l’Hôpital Avicenne, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris.
Il est l’auteur de Une Théorie du soin, souci et amour face à la maladie, préface de Bernard Baertschi, Les Belles Lettres, 2010, et de L’inertie clinique, Une critique de la raison médicale, Préface de Joël Ménard, Springer, 2012.